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Comment une piscine bruyante peut-elle expliquer ce qu'est le "non-agir" taoïste ?

Le présent article tente d'illustrer ce qu'est le non-agir taoïste à partir de l'exemple vécu d'un ami, gêné par le bruit matinal de la piscine de son voisin. Explications.

· Concepts taoïstes

Le "non-agir" (WeïWuWëi) est au cœur de la sagesse taoïste. On a plusieurs fois écrit qu'il ne s'agit pas de ne pas agir mais d'agir de la manière la plus parcimonieuse qui soit avec le plus grand effet démultiplicateur possible, en utilisant au mieux les forces en présence, visibles ou invisibles. La nature procède de même en faisant pousser... ce qui doit pousser (la graine, le volcan, les plus forts de la portée...) et en éteignant le reste, "ce qui n'est pas juste", ce qui ne répond pas aux lois de ce monde. Le non-agir" devrait ainsi plutôt se traduire par l'"agir juste" au sens de "respectueux des lois de la nature et de notre plan de réalité". La nature par exemple ne cherche pas la confrontation qui dépense trop d'énergie et lui préfère autant que possible la coopération, comme l'illustre le superbe livre de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne : "L'entraide : l'autre loi de la jungle", paru en 2019.

On pourrait discourir à l'envi sur le concept de "non-agir" et les articles en lien au bas de ce propos pourront vous éclairer par complément. Pour illustrer de manière inductive l'esprit du WuWeï, le mieux consiste sans doute à prendre un exemple de la vie de tous les jours. Le dernier événement que j'ai en tête date de la semaine dernière et concerne la piscine bruyante de l'un de mes amis.

Au gré de notre conversation et entre deux olives, il en vient à se plaindre que l'un de ses voisins le réveille depuis quelques temps tous les jours à 6h30, par le déclenchement intempestif d'un appareil électrique dont le son aigu lui vrille les tympans et raccourcit ses nuits. L'envie d'avoir une explication virile commençait à lui monter au nez et on en est venu à parler des vertus du non-agir. Après avoir rassemblé quelques éléments factuels, je lui ai alors proposé d'écrire la lettre suivante :

Bonjour à vous,

En bons voisins, nous vous informons qu’un son strident se déclenche tous les matins depuis plusieurs semaines aux alentours de 6h30 et nous réveillent systématiquement. A un moment, il se déclenchait à 10h30, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Il s’agit probablement d’un moteur de piscine (mais ça reste à confirmer), programmé pour démarrer à heure fixe.

Nous n’avons pas pu localiser précisément l’origine du bruit mais si ce devait être l’un de vos appareils domotiques et pour le confort de tous, merci par avance de voir ce que vous pourriez faire pour le faire disparaître au plus tôt.

Bien vicinalement vôtre.

Les voisins.

Il a imprimé 2 exemplaires de ce courrier qu'il a nuitamment posté dans la boîte des 2 maisons présumées être à l'origine de la nuisance. Sur chaque enveloppe était écrit : "A nos voisins" et une incrustation "chers", venait astucieusement et visuellement précéder le substantif, ce qui donnait à la lecture : ""A nos chers voisins".

On le notera ici, les courriers sont parfaitement anonymes, tant du côté de l'émetteur que du destinataire car, comme il est dit dans le Tao Te King, "le voyageur véritable est celui qui ne laisse pas de traces". On n'est pas en effet ici, dans une quelconque volonté de terrasser qui que ce soit, de parader ou de "montrer qui c'est Raoul" comme aurait dit Audiard mais au contraire de tenter de désamorcer un confit potentiel et émergent. Inconnaissable, l'émetteur est aussi léger que le vent, le destinataire n'est pas reconnu nominativement, seule subsiste et flotte l'information et la demande factuelle d'une meilleure cohabitation ou vie collective. Le particulier a fait place à l'intérêt général et non désigné. Aucune critique ne pointe et l'autre ne se sent pas agressé. La situation EST. La lettre peut s'assimiler à un avis de tempête émis par MétéoFrance. Il n'y a pas grand chose à faire mais seulement à intégrer l'information et à agir en conséquence. Le ton est descriptif, n'insiste pas trop lourdement sur la nuisance vécue et se complète d'une légère touche d'humour pour humaniser l'ensemble. Ce type d'approche s'assimile en définitive à une forme de Communication Non Violente, théorisée par Rosenberg.

Quelques jours plus tard, mon ami m'appelle pour m'informer que le bruit strident a arrêté sa plainte matinale et qu'il peut à présent dormir plus longtemps sur ses deux oreilles. La situation s'est dénouée sans effort et sans interaction humaine, à l'image du fruit qui tombe de la branche à maturité, par simple gravité. La résolution de la nuisance aura coûté le temps de la création, de la rédaction et de l'impression du courrier, ainsi que 2 enveloppes sans timbre.

On le voit ici, le non-agir n'est pas un concept éthéré, contemplatif et réservé à la caste des moines du Mont WuDang ou des ermites du HuaShan. Eloge de la frugalité, il est au contraire, un appel à l'action minimale destinée à obtenir un résultat maximal, visant une performance de conséquence plutôt que de force ou de volonté. Il repose sur l'examen attentif du réel de la Terre, complété d'une once de la créativité du Ciel.

Cette performance d'action peut s'appliquer de la même manière dans le monde des affaires, de la diplomatie (GuiguZi) ou de l'art oratoire. SunZi (SunTzu) de son côté l'a décliné avec profit dans l'art de la guerre en précisant que la plus belle des victoires militaires est celle qui permet de ne pas livrer bataille.

 

Victoire non négligeable, le "non-agir" taoïste a permis dans notre histoire de rétablir l'harmonie de la relation entre nos deux voisins. Une solution peut-être à suggérer au garde des sceaux pour désemplir les prétoires ou aux grands de ce monde, pour éviter les escalades géopolitiques.