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"Dodanisme" et "chicanisme" sont les deux derniers variants d'une France qui vieillit

· Société

Vive les obstacles !

Si la vieillesse était un virus, le "dodanisme" et le "chicanisme" en serait les variants les plus récents.

La France vieillit et se couvre d'équipements de voirie qui lui ressemblent. L'éloge est à la lenteur et les panneaux de limitation de vitesse ne cessent de décélérer. Les 90 km/h départementaux sont devenus 80, les 50km/h urbains sont passés à 30 km/h, les 30 km/h sont tombés à 10 km/h et le vélo de la chanson de Joe Dassin dépasse depuis longtemps les autos, sous le regard narquois et goguenard du cycliste qui vous double.

Déjà championne du monde avec ses 50 000 ronds points recensés (6 fois plus qu'en Allemagne, 6 milliards d'€ par an en construction et en entretien) et ses milliers de radars routiers (plus de 1.2 milliards d'€ de recettes), le réseau routier français voit partout éclore des aménagements qui sont le signe de nos temps fatigués. Parmi tous, les ralentisseurs font partie des matériels rétro-cinétiques les plus emblématiques de notre époque. Tour à tour "dos d'âne" ou "chicanes", ils sont à la voiture ce que le déambulateur est au piéton : des accessoires de fin de cycle, la dernière étape avant l'horizontalité. A force de ralentissement vient poindre l'immobilité éternelle et la roideur du gisant.

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L'histoire nous l'enseigne, les ainés affectionnent moins la production des richesses que sa répartition, fonctionne moins au dépôt de brevet qu'à la confiscation, à l'impôt et à l'amende, à la morale et à la loi. Dans la tradition taoïste, il s'agit du comportement du Métal, du repli, du blanc, de la justice, de la sécurité, du sens des responsabilités, du sacrifice et du linceul.

Les temps qui viennent ne sont pas à la vitesse et au pivot, à la prise de risque, au changement de pied ou à l'audace. Le temps n'est pas à la danse mais à la contredanse. Anachronique, la "Start up Nation" de Macron est morte avant d'avoir vécu. On n'offre pas un ballon de basket-ball à un Ehpadiste. La France attend de la sécurité, du silence et de la réassurance. Tout ralentit et la France assume ses "ralentisseurs" et ses ronds-points jusqu'à les faire subventionner par l'Europe. Preuve de la qualité de son écoute et gage de sa réélection, l'élu local se dépêche de ralentir les flux ; il se couche à son tour et érige le monticule. Dans son zèle à limiter la vitesse des chauffards, il n'hésite pas la plupart du temps à dépasser les 10 cm de hauteur règlementaires ainsi que les 4 mètres de longueur requis. La prudence n'est jamais assez haute. Le mur serait l'aménagement idéal, l'impasse la voie rêvée et l'immobilité la herse parfaite.

A la solde du vieillard chenu qui gouverne, la maréchaussée punit la mauvaise conduite. Paradis des garagistes et du fisc, la vitesse détruit les amortisseurs des véhicules et abime le portefeuille du contribuable. Au "carrefour" de l'horizontal des anciens et de l'univers des gardiens de l'ordre moral, il est somme toute logique d'appeler ces monticules statiques, des "gendarmes couchés". Le risque était dans les mots. Notre société déclinante ne s'en est pas rendu compte et n'a pas pu l'éviter. Et si le goût des mots s'empare de nous, c'est alors l'amertume qui nous monte à la gorge, à l'image du "cassis" qui est également le synonyme de ces tertres routiers. Tout était déjà écrit.

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La chicane de son côté est la variante plane du ralentisseur, un dos d'âne renversé, un gendarme couché en 2 dimensions si tant est qu'on puisse imaginer la chose, par égard pour la puissance publique. A grands coups de volant, on peut entendre gémir les cardans et les pneumatiques, la tête menace de cogner la fenêtre de la portière, la trajectoire peut finir dans le poulailler pour les plus maladroits mais la loi passe et reste droite.

Dans son esprit décélérateur, le législateur aux tempes grises n'a pourtant pas conscience que la chicane peut inciter à l'accélération des plus pervers, à la recherche de la sensation de la courbe et de la liberté. Les pires d'entre eux pensent même qu'une consommation immodérée d'alcool peut aider à redresser la trajectoire.

A parler vrai, les dos d'âne et les chicanes endorment la majorité. Ils endorment notre vigilance, notre goût pour l'initiative, pour le risque, pour l'action, pour le plaisir. Le dos d'âne est le chloroforme de l'esprit, la chicane le formol de la fantaisie. Ces infrastructures rétrogradantes ne sont que les avatars symptomatiques de l'aversion au risque de nos sociétés, la traduction inesthétique de notre déclin et du vieillissement de notre population. Seul pays à la pratiquer, l'attestation sanitaire Covid procède de cette même démarche infantilisante, bureaucratique et déresponsabilisante. Cette déresponsabilité répond à ce que l'on pourrait appeler une "démobilité". Le bon citoyen est celui qui ne se déplace pas. Le vélo lui-même est accidentogène et synonyme de risque. L'exemplarité citoyenne devrait proposer un casque dans sa voiture et paramétrer son limiteur de vitesse à 10 km/h. Les pouvoirs publics devraient de leur côté lancer une prime à l'immobilité et organiser des concours pour récompenser les plus sédentaires. Nul doute que les morts l'emporteraient haut la main. La vie pouvant se définir comme un risque d'où personne ne sortira vivant, il n'est de fin dans l'escalade de la sécurité et dans le jeu de la prévention du risque d'être vivant.

Que déciderait la nature ?

A ce stade du réquisitoire, on pourrait s'interroger sur les solutions à apporter à cette réalité dyshamonieuse. De son côté et fidèle à ses principes multi-millénaires, le taoïsme propose quasi systématiquement de s'inspirer de ce que ferait la nature et poserait la question en ces termes : "Que font les animaux lorsque passe un troupeau d'éléphants ? Vont-ils ériger un obstacle pour qu'ils se détournent ? Que font les pigeons lorsqu'ils sont attaqués par des faucons qui piquent à 300 km/h ? Que fait la gazelle menacée par un guépard qui la poursuit à 110 km/h ? Ils restent vigilants, veillent, se préviennent, se détournent et s'adaptent (regroupement, camouflage et leurre, esquive...).

Fortement imprégnée de culture taoïste, la Chine met en pratique à sa manière ces comportements éthologiquement justes. Ainsi, là où la France limite, la Chine imite. Elle imite la nature et un modèle de performance et d'harmonie qui a fait ses preuves depuis des centaines de millions d'années. Là où la France choisit la contrainte et le lent, la Chine choisit la fluidité et le naturel.

Fondamentalement, la Chine aime la fluidité et ce qui circule. A l'image de l'eau ou de la circulation des fluides dans le corps humain en médecine chinoise, toute perturbation, tout obstacle peut s'assimiler à une stagnation qui menace de transformer la rivière en marécage. Toute stagnation dans la durée est pathogène et peut entrainer la maladie. Plus positivement, la circulation, des fluides, de l'énergie, du sang, du Qi est synonyme de santé dans la tradition médicale chinoise. Dans leur culture analogique et fractale, les axes routiers sont les artères du territoire et s'assimilent très exactement au réseau des méridiens (Jing Luo), aux réseaux cardiovasculaire et neurologiques du corps humain. Tout doit être fait pour que tout circule.

La Chine peut pousser ce besoin de fluidité jusqu'à une certaine forme de brutalité. C'est ainsi que la plus importante agence de voyage chinoise nous prévient :

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  • Que vous soyez à vélo ou au volant d’une voiture, si le véhicule qui est derrière vous vous signifie qu’il veut doubler en klaxonnant, le code de la route dit que vous devez obtempérer et lui céder le passage.
  • Il est très courant que bien que le feu soit rouge, voitures, camionnettes, camions, vélos et piétons continuent de passer. Donc si vous êtes le premier véhicule sur la file quand le feu passe au vert, surveillez bien les voies perpendiculaires car il y a toujours un petit temps dangereux !
  • C’est le premier qui entre sur le rond point qui a la priorité. C’est la grosseur de la voiture, l’agressivité du conducteur, la règle du « premier arrivé » ou du plus «malin»… qui comptent.
  • Si vous êtes cyclistes sur la voie cyclable, soyez très vigilant au moment de croiser une route, les voitures forcent le passage !
  • Soyez sur la défensive et toujours prêt à vous arrêter à faire un écart pour éviter tout ce que nous avons mentionné ci-dessus.
Par crainte du prédateur, les animaux sont vigilants, les Chinois aussi.

Conclusion et propositions

Sans aller jusqu'à l'excès chinois, on ne peut ici qu'inviter les édiles à privilégier le Yin de la prévention plutôt que le Yang de la répression, l'information plutôt que le choc de la gomme du pneu contre l'obstacle. Le gémissement de l'amortisseur traduit notre incompréhension des lois du monde vivant et du "non-agir taoïste. Dans cet esprit, les panneaux clignotants et alerteurs pédagogiques devraient être privilégiés. Des leurres comme les passages piétons en 3D pourraient être utilisés, des déviations évitant les centres des villages pourraient être construites. Les parents à proximité d'une route passante devraient surveiller leurs enfants comme le fait la mère du gnou qui craint l'attaque de la lionne. Un avertisseur sonore ou lumineux pourrait informer le passant de l'arrivée d'une voiture.

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Leurres, évitement, vigilance, prévenance, l'homme-mammifère devrait s'inspirer des lois mimétiques de la nature. Là comme ailleurs, il s'agit de comprendre comment elle fonctionne pour faire des économies et mieux rester vivant.