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Les 3 sagesses de la Chine traditionnelle

La Chine contemporaine est à la croisée de trois sagesses historiques que sont le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Cet article souhaite revenir sur la genèse, les apports, les similitudes, les divergences et les relations de ces trois enseignements qui fondent le socle culturel de la future première puissance mondiale. Nous verrons notamment qu’elles portent un formidable message d’optimisme pour les générations à venir. Cet article est la version allongée et plus complète d'un article mis en ligne dans la Revue "Les Carnets du Business".

· Concepts taoïstes

« Le Chinois est confucianiste le jour, taoïste la nuit ; confucianiste en public, taoïste en privé ; confucianiste dans la vie, bouddhiste face à la mort ».

Proverbe chinois.

1. Sagesse ou religion ?

Parler de religion en Chine n’est pas simple. Non pas pour des raisons d’intolérances réciproques ou parce que Marx a pu parler d’« opium du peuple » mais parce que le principe religieux, avec son cortège de croyances et de dogmes n’existe tout simplement pas. Les jésuites du 17è siècle ont été bien ennuyés pour faire comprendre le concept même de « Dieu créateur du monde ». Le sinogramme le plus approchant de « religion » signifie « enseignement des anciens » et renvoie davantage à une transmission, une sagesse multiséculaire portant sur le sens de l’existence ou le rapport à l’autre, souvent frappée au coin du réel et de la relation sociale. Les inspirateurs de ces sagesses sont des humains et des exemples à suivre (Lao Tseu, Confucius, Bouddha) mais guère des démiurges platoniciens créateurs d'univers. Le Ciel n’est pas la résidence d’un dieu à longue barbe mais le « régulateur impersonnel qui assure la bonne marche des saisons et le bien-être du monde vivant », pour reprendre le mot de Cyril Javary.

Le temple lui-même n’est pas sacré et le Chinois ne s’y rend que rarement en groupe et à des dates précises, à l’exception des grandes fêtes annuelles, (notamment bouddhistes). Le temple ne sert pas à prier mais à négocier, à convoquer les mânes et les auspices, à attirer la bonne fortune et répondre à un souhait. Ce sont plutôt des « salles d’audience » pour conférer momentanément avec la déité du lieu, le plus souvent dans une intention propitiatoire. Les rituels et les offrandes sont en revanche très codifiés, le fétichisme y est très développé (portraits de Mao, miroirs, numérologie…).

Très vivace, le culte des ancêtres repose sur l’idée que les morts vivent encore avec les vivants sur des plans invisibles et que les défunts dépendent de ceux qui restent sur Terre. La tradition populaire est peuplée d’esprits avec les bons (les Shen) et les mauvais (Les Gweï). Les divinités sont généralement d’anciens humains puissants ou émérites, qui peuvent accessoirement intercéder avec des esprits plus puissants encore (GuanYin, déesse de la compassion, GuanDi, le saint patron des marchands; etc.).

Les grandes sagesses traditionnelles de la Chine sont de retour depuis la mort du Grand Timonier (Mao Zedong) en 1976. Parce qu’il encourage l’engagement social et l’amélioration de la vie collective, le confucianisme est aujourd’hui omniprésent et valorisé par le pouvoir central, au travers notamment du fameux « score social », supposé quantifier la vertu confucianiste du citoyen.

Par une approche chronologique, nous allons succinctement examiner la genèse et la structure de chacune des trois sagesses chinoises, qui fondent le socle culturel de la prochaine première puissance mondiale.

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2. Le taoïsme et l'Homme-univers

D’origine chamanique, le taoïsme est de toutes les sagesses chinoises la plus ancienne. Calligraphié sur les tiges de bambou il y a 2 500 ans par le légendaire Lao Tseu (le « Veil enfant »), il pose que l’homme est à l’image de l’univers qui l’entoure, un miroir de la conscience universelle. Par ce qu’il appelle le « non-agir » (et que l’on devrait plus fidèlement appeler l’ « agir-juste »), il précise que l’être humain ne sera jamais aussi vigoureux (en vitalité et en longévité), performant et heureux que s’il connait et applique les lois qui guident la nature et l’univers. Le taoïsme est une relation au vivant, en soi et autour de soi, une révélation de la compréhension de la vie et des lois de la nature, qui enseigne par son exemple. Le taoïste mobilise le corps et pratique la voie plutôt que l’étude et se défie des mots qui ne porteront jamais l’essence de la connaissance. Aucun vocable ne pourra jamais décrire le ressenti et la beauté d’un coucher de soleil. Par des pratiques alchimiques externes (ingestion de substances diverses) puis internes (exercices respiratoires, méditatifs…) à partir des Han (206 av. JC-220 ap. JC), le taoïste cherche à rejoindre l’origine et la source de toute chose, le « Dao ».

Les textes taoïstes fondateurs tentent de poser quelques mots sur le non-agir et l’ineffable mais la connaissance véritable passe par la pratique méditative et la sublimation du souffle, mélange d’air et de « Qi », l’énergie vitale. Comme il est dit dans la tradition, lire les textes classiques sans pratiquer l’alchimie taoïste revient à « observer un bâtiment sans jamais n’y entrer dedans ».

Le taoïste véritable cherche le contact direct avec la nature, loin des miasmes et de la trépidation des villes, dans l’idéal en altitude pour respirer un air pur et bénéficier de l’énergie du Ciel et de la Terre (Montagne).

Le taoïsme n’est devenue une religion avec son clergé et ses temples structurés que sous les Tang (618-907) essentiellement pour des raisons d’assise politique et de concurrence avec la sagesse bouddhiste florissante.

Le taoïsme s’est progressivement mâtiné de bouddhisme et on peut parfois reconnaître quelques influences confucianistes (exigence envers soi-même, indulgence envers les autres…) dans le Tao Te King (Classique de la Voie et de ses vertus), le texte fondateur de Lao Tseu. Les taoïstes reprochent aux confucianistes de ne s’intéresser qu’au monde de la Terre, à l’effort plutôt qu’au non-agir, à l’homme plutôt qu’à l’ensemble du monde vivant, à ne s’intéresser qu’au savoir plutôt qu’à la connaissance « Celui qui sait n’a pas un large savoir. Un large savoir ne connaît rien ».

L’illustration populaire des 3 goûteurs de vinaigre traduit avec humour ces reproches.

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Un sage confucianiste, un sage bouddhiste et un sage taoïste sont réunis autour d’un tonneau de vinaigre et seul le sage taoïste sourit. Le vinaigre représente l’aigreur de la vie. Le confucianiste se pince le nez car l’homme nait imparfait et ne trouve l’harmonie que dans l’effort et la tension permanente. Pour le sage bouddhiste, le vinaigre déplaisant vient rappeler que la vie n’est que souffrance et que nous sommes venus apprendre à nous en détacher pour accéder au nirvana et lever le voile de l’illusion. Seul le sage taoïste semble se régaler de cet instant choisi, sachant que l’aigreur se plaît à enseigner et qu’elle se marie superbement à l’huile, dans une salade par exemple. Chaque épreuve est momentanée, elle enseigne et fonde l’harmonie de la vie. C’est parce que l’aigreur existe que le doux existe. C’est parce que l’épreuve existe que la joie existe. Une joie permanente s’appelle l’ennui. L’acidité du vinaigre et de la vie contient un enseignement. Là où les autres sages voient la contrainte ou la souffrance, le taoïste perçoit l’apprentissage et saisit en creux et dans la spontanéité la loi de l’impermanence (le vin se transforme en vinaigre) et de la bipolarité dynamique (le vinaigre peut se mélanger à l’huile dans une vinaigrette ou dérouiller ses clefs). Il comprend qu’ « On ne perd jamais : Soit on gagne, soit on apprend ». Comprendre l’acidité du vinaigre, c’est comprendre le fondement même de la vie, impermanente, imprévisible, enseignante, évoluante et potentiellement utile à qui sait le voir.

Il est fait parfois reproche au taoïsme sa recherche personnelle et égoïste de l’éveil mais le Dao renvoie à un principe de totalité et d’interdépendance qui ne permet pas au pratiquant taoïste de s’extraire de l’autre et de son environnement. De même, la connaissance des lois du monde fait apparaître la beauté et l’amour de la nature qui ouvrent le Cœur et font naître la bonté spontanée. Comme l’écrit Ge Hong (3è s. ap. JC), « L’art de l’immortalité requiert que l’on étende son amour à ce qui rampe et grouille, que l’on ne nuise à rien de ce qui possède un souffle ».

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3. Le confucianisme et l’homme citoyen vertueux

Confucius est un contemporain supposé de Lao Tseu (Ve s. av. JC) et les taoïstes se sont amusé à imaginer des rencontres ridiculisant quelque peu Maître Kong, le nom véritable de Confucius. Ses disciples ont rassemblé sa pensée dans un classique appelé modestement « Les entretiens ». Rapidement devenu orphelin et ayant dû travailler toute sa vie pour subsister, le sage est ancré dans le réel et recherche l’harmonie horizontale, sur le plan social et collectif, loin toutefois d’une éventuelle uniformité. Le confucianiste considère l’homme perfectible et l’invite à l’introspection et à l’étude permanentes. Dans une recherche d’équilibre de société, il célèbre la loyauté et la hiérarchie (au père, à l’Empereur, aux ancêtres) car elle existe à l’état naturel : on est toujours le frère ainé ou le cadet de quelqu’un. En retour, les puissants doivent pratiquer la vertu et protéger ceux qui dépendent d’eux, raison pour laquelle Confucius a été de son vivant, si peu entendu par les lettrés de cour.

Idée révolutionnaire à l’époque, l’enseignement est accessible à tous et aboutira aux futurs examens méritocratiques de l’administration impériale. Le confucianisme mise sur l’éducation pour connaître et acquérir les vertus qui permettront d’installer l’harmonie dans la cité. Cette éducation parle d'adaptation, de rigueur tolérante mais sans excès, de l'importance de la musique pour adoucir les mœurs et d'ouverture à l’autre.

Le politique est au cœur du modèle mais le cœur est lui-même au centre de la politique. « N’impose pas à l’autre ce que tu ne souhaiterais pas que l’on t’impose ». Le confucianisme originel est une exigence pour soi, une tolérance vis-à-vis des autres, qui s’adressent aux petits comme aux puissants. Les vertus confucéennes parlent de l’amour de l’autre, de sa nécessaire implication dans la vie sociale, de la loyauté et de la sincérité, de la piété filiale comme signe de reconnaissance des efforts des parents et des ancêtres, de l’observation des rites, du maintien de la dignité en toutes circonstances. Le sage confucianiste sait conserver son calme, mesurer ses paroles et ne pas faire de promesses inconsidérées. Il aime son métier, connait sa place et son rôle dans la société et cherche à contribuer à l’harmonie d’ensemble.

Sur le plan religieux, Maître Kong ne souhaitait traiter que du réel et méprisait le futile. Il se défiait des dogmes qui tranchent sans savoir et évitait de spéculer sur les prodiges, les miracles, les esprits ou le Dao céleste. Les cérémonies religieuses ne sont pas tant appréciées par Confucius pour leur caractère religieux que par les bienfaits qu’elles apportent aux hommes. Il ne s’agit pas en revanche d’en devenir prisonnier et le sage invite à garder les esprits « à distance ». Il privilégiait la vie aux spéculations sur l’après-vie. Les néo confucianistes ont cependant réintroduit le Ciel à partir du XIe siècle.

Sagesse horizontale et politique, son caractère opératoire et hiérarchisé, respectueux de l’autorité et de l’ordre établi, explique la préférence des gouvernants et le succès historique du confucianisme auprès des empereurs, au détriment de certains courants plus défiants ou humanistes comme celui qu’a fondé Mozi (479-392 av. JC). Proche de l’agapè grec, cette vision utopique du monde n’a pas été politiquement très porteuse. Jugeons plutôt : « Supposons que tous les gens du monde s’aiment réciproquement, d’une manière universelle : on n’assisterait ni à des guerres interétatiques ni à des troubles entre familles ; il n’y aurait ni de brigands ni de malfaiteurs. Les souverains, les ministres, les pères et les fils seraient tous capables de piété filiale ou de clémence. De cette manière, l’ordre règnerait dans le monde. (…) Il faut impérativement prôner l’amour d’autrui (…) L'homme avisé qui a la charge de gouverner l'empire doit rechercher la cause du désordre. (...) et en recherchant les causes, nous découvrons qu'elles découlent toutes d'une absence d'amour mutuel ».

Pour Confucius, il convient de s’améliorer sans cesse et de développer son « humanité » et les relations humaines avec ardeur par l’étude et sans jamais imaginer l’avoir atteinte. « Se tromper sans se corriger, voilà se tromper ». Tendre vers le bien, tant pour soi que pour les autres suppose une auto-observation minutieuse et quasi-permanente. Cette tension mentale chronique et ce « déport de soi » leur sera reproché par les taoïstes car elle éloigne l’individu de l’agir juste et spontané.

Il refuse de désordre politique et appelle la classe dirigeante à l’exemplarité noble de l’être de bien. Son enseignement vise peu à peu, à faire apparaître la noblesse (la vertu) en l’homme, un peu comme le chevalier servant, amoureux de l’ordre, de l’harmonie et de la justice. « Chacun suit sa pente : le petit être en la descendant, l’être noble en la remontant ». Fils de l’esprit du taoïsme et au terme de la quête, il aspire lui-aussi à la spontanéité et au naturel des comportements vertueux.

Fidèle à la culture chinoise du changement permanent (Yi Jing), toute justice doit s’adapter aux situations. On retrouve chez Confucius un peu « l’esprit des lois » de Montesquieu. Confucius n’avait qu’une attirance relative pour la loi et lui préférait les rites pour développer les vertus naturelles de l’homme. La loi est trop rigide et permet peu d’apprendre. Les rites comme la justice doivent pouvoir s’adapter au réel. L’adaptation et le « juste » doivent primer en toute choses, lieux et situations tant que les principes de vertu sont respectés. En d’autres termes, on est inflexibles sur les fondamentaux (la droiture, la vérité, l’harmonie collective, le renforcement du bien) et on adapte aux circonstances pour le reste. Le rite est fait pour renforcer l’animal social et aimant, les liens affectifs qui nous relient à l’autre. De manière générale, il promeut le rite (le culte des anciens…) dans sa fonction de ciment social, de créateur de liens. Il permet également de coder et de donner un sens aux relations sociales. Modifier un rite porte une signification que l’on invite avec tact l’autre à décrypter.

Y percevant son intérêt, le confucianisme est devenue une morale d’état que la dynastie des Han a développé pour assoir son pouvoir. Au nom de l’intérêt supérieur de l’harmonie de l’Empire, certains interprètes zélés comme les légistes XunZi (IIIe siècle av. JC) ou Han FeïZi ont poussé la doctrine confucéenne jusqu’au totalitarisme le plus absolu à base de lois implacables, proposant récompenses simplistes et châtiments cruels, à rebours de la bienveillance originelle de son concepteur et de la nécessaire exemplarité vertueuse des dirigeants.

Confucius n’a jamais été entendu par les cours impériales de son temps. Basée sur le respect de l’autorité et l’obéissance à la hiérarchie, cette morale est devenue de plus en plus étriquée au fil du temps pour devenir une chape idéologique sous les Song (entre le Xe et le XIIe siècle). Elle est devenue un conformisme, un habitus social rigide, un respect strict et un peu absurde de la hiérarchie et de la piété filiale (solidarité familiale) induisant même récemment, une version « asiatique » des droits de l’homme où l’intérêt collectif prévaudrait sur l’intérêt personnel. En réhabilitant Confucius, la Chine recouvre la confiance en son histoire et le moyen commode d’affermir son emprise politique.

Les confucianistes reprochent aux taoïstes leur individualisme et aux bouddhistes cette obsession que le monde est une illusion. Les confucianistes pensent trouver la vertu et l’harmonie dans l’organisation de la société, les taoïstes loin de la société. Les taoïstes reprochaient en retour aux confucianistes leur obsession de l'étude, de la volonté et du cérébral, loin de la spontanéité de l'enfant et de la nature. Les confucianistes rejetaient le concept de la réincarnation des bouddhistes ainsi que leur idée de célibat qui compromettait la possibilité d’avoir une progéniture et d’assurer la richesse et l’harmonie du royaume. Ils se défiaient de l’indépendance des monastères bouddhistes vis-à-vis de l’autorité impériale et convoitaient la richesse des monastères. Ils n’étaient par ailleurs pas très partisans d’un salut individuel, indépendant de la cause collective.

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4. Le bouddhisme et l’homme compassionnel

Indien d’origine, le bouddhisme est arrivé en Chine au 1er siècle de notre ère par les routes de la soie. Un premier empereur (Wu) déclara le bouddhisme religion d’état quelques 500 ans plus tard au VIe siècle.

Inspiré par Bouddha au Ve siècle av JC., le bouddhisme est une voie de transformation de l’esprit, qui cherche à passer de l’ignorance à la sagesse, de l’égocentrisme à l’altruisme et à la compassion. Le bouddhisme propose de multiples méthodes pour libérer l’esprit de l’illusion et des états mentaux nuisibles tel que la haine, l’obsession, la jalousie et l’orgueil. Les enseignements bouddhistes comprennent aussi bien des points de vue philosophiques ou psychologiques qu’une pratique spirituelle dont le but est de se défaire d’une vision erronée de la réalité et de déraciner les causes mêmes de la souffrance. La souffrance peut provenir de « poisons » comme l’avidité et l’attachement (aux êtres, aux choses, à son corps, à la réalité…) ou comme l’ignorance (la réalité n’est qu’un mirage, le karma). Le bouddhisme est une voie d’éveil du soi qui passe par l’offrande et le don, l’entraide, la communauté, la sérénité, la non-violence et la protection de tout ce qui vit. Le bouddhisme fait appel à la concentration intérieure et à la discipline mentale, à la contemplation méditative, à la prière et à la répétition de mantras avec au bout, la levée du voile des illusions notamment celle de l’ego, le nirvana et la fin du cycle des réincarnations.

Le bouddhisme a connu une expansion rapide au sein de la société chinoise dès le 1er siècle pour les raisons suivantes :

  • Le bouddhisme a bénéficié de la protection de Han MingDi au 1er siècle de notre ère qui aurait vu l’arrivée du bouddhisme dans un songe. Il aurait été frappé par la puissance compassionnelle des premiers bouddhistes.
  • Le bouddhisme arrivait à un moment de grandes souffrances pour le peuple, liées aux guerres incessantes auxquelles se livraient les différents royaumes en place.
  • Le bouddhisme acceptait sans mépris les particularités des croyances locales, les traditions vernaculaires et s’y adaptait sans difficulté.
  • Les monastères étaient solidement organisés et sont devenus rapidement opulents comme les monastères chrétiens de l’époque médiévale.
  • Le monachisme supposait le célibat, la non-violence et la pauvreté mais le bouddhisme n’imposait pas de devenir moine. Il admettait l’accès à l’éveil pour les laïques notamment via la méditation Chan (appréciée pour sa rigueur par les confucianistes) qui évolua en « Zen » au Japon.
  • Le bouddhisme par surcroît créait une perspective qui reliait les vies entre elles et qui dépassait la simple piété filiale. Le rapport à la faute et à la morale était plus lourd et impactait l’au-delà. La lancinante question de la mort et de la souffrance du monde trouvaient enfin sa réponse.
  • Le bouddhisme fait reposer la vision du monde et de sa paix intérieure sur la base de son action personnelle et non plus sur une harmonie sociale confucéenne hypothétique et éloignée de soi.
  • Le bouddhisme est éligible à tous, quel que soit son rang. Il installe une égalité de classe que refusait la hiérarchie du confucianisme d’état.
  • Le bouddhisme permet aux femmes (notamment les veuves et celles qui ont quitté leur mari) d’accéder à la vie monastique, de recouvrer une dignité et utilité sociale que la culture chinoise leur avait déniée. Elles se retrouvent notamment dans la déesse GuanYin, déesse de la compassion absolue, essence féminine et maternelle et ultime recours.
  • Le bouddhisme fixe le prix de la vie à tout ce qui est vivant, plantes, animaux et prône le végétarisme. Si une écurie brûle, le confucianiste demandera s’il y a des blessés, le bouddhiste s’enquerra de la santé des chevaux.
  • Le bouddhisme représentait de manière inédite les divinités sous la forme de peintures bariolées, de scènes narratives et de statues et les rendaient vivantes et accessibles au peuple. Les taoïstes ont copié cette astuce « marketing » à partir des Tang au VII-VIIIe siècle.
  • Les divinités bouddhiques enfin pouvaient être convoquées par de simples invocations verbales, éloignées des rituels idéographiques de prêtres taoïstes ou chamaniques. La récitation psalmodiée des textes est une idée qui, là encore, sera récupérée par le clergé taoïste.

Le bouddhisme a fait découvrir à la culture chinoise ce qu’était la réelle compassion, le ressenti de la souffrance de l’autre et l’élan de vouloir y remédier. L’antériorité de l’enseignement de Confucius a facilité le déploiement du courant du Grand véhicule (Mahayana) qui privilégie le salut universel de tous plutôt que le simple éveil du Soi (Hinayana).

A noter que l’idée de la vacuité bouddhiste est différente du vide taoïste. Le bouddhiste associait le vide à l’impermanence et à l’illusion de notre plan de réalité. Pour le taoïste il s’agit plutôt d’une indétermination, d’un plein potentiel. Après un incendie, la forêt est vide. Les cendres d’une forêt qui a brûlé sont pleines des promesses des futures pousses ou récoltes. Les taoïstes recherchent la longévité pour avoir le temps d'avancer sur la voie. Les bouddhistes de leur côté n'hésitent pas à martyriser ou à vieillir prématurément leur corps. Les bouddhistes reprochaient aux confucianistes leur désir d’honneur et de respectabilité, leur mépris du vivant et de tout ce qui n’était pas strictement humain.

5. Conclusion

Si « les Chinois sont des êtres de relation » comme l’a dit l’académicien François Cheng, ils sont également des êtres d’harmonie. Les 3 sagesses ont en commun la volonté d’installer l’harmonie en soi et autour de soi, sur les plans visibles voire invisibles mais par des voies différentes. Chacune avec leurs mots, fait référence à la bonté, à l’amour, au bien. Elles se comprennent comme des enseignements et des manières de vivre destinées à installer l’équilibre en soi et autour de soi, et non comme des croyances. Chacun de ces mouvements a inspiré l’autre et a été récupéré à un moment de l’histoire chinoise par le pouvoir politique.

Convergentes à certains égards, le confucianisme fait cependant primer la vie de la cité et la rectitude morale, le taoïsme le rapport à soi et à la nature, le bouddhisme la compassion et l’illusion du monde. Le bouddhisme et le taoïsme sont fondamentalement des voies d’éveil et de spiritualité. Le confucianisme est une voie horizontale, d’abord personnelle puis sociale et politique. Tous ces enseignements cherchent à transmettre l’évidence du juste mais chacun à un niveau qui lui est propre.

Si l’on osait une synthèse taoïste, on pourrait dire que le confucianisme renvoie de manière dominante au corps de la cité et à la matière, le bouddhisme renvoie au Cœur et à l’homme. Le taoïsme de son côté renvoie au Ciel et à ses lois. Les trois mondes du taoïsme se retrouvent dans les trois sagesses. Par facilité, on pourrait également dire que le confucianisme est à tonalité dominante Métal, le Taoïsme à dominante Eau et le bouddhisme à dominante Bois/Feu.

Autrefois rivales, les 3 sagesses traditionnelles se sont amadoué au fil du temps ; elles se complètent aujourd’hui et s’enrichissent mutuellement. A rebours de l’occident, c’est cette compréhension supérieure et cette juste répartition des harmonies qui a permis à ce peuple d’éviter les guerres de « religion ».

La question qui se pose aujourd’hui à la société chinoise est celle de l’intégration des monothéismes, de la place que le pouvoir politique souhaite accorder à la religion catholique (appelée « l’enseignement du maître du Ciel » -Jiao Zhu Tian), supposément inféodée à l’occident et à l’autorité temporelle du Vatican. La place de l’islam est également interrogée par l’actualité et la façon dont sont traités les Ouïghours de la province du XinJiang.

A la toute fin cependant et par la preuve historique, les 3 sagesses portent aux générations à venir et aux pouvoirs politiques actuels, le formidable message d’espoir de la coexistence possible des pratiques et des croyances, de la possibilité de se nourrir de la différence de l’autre. Même si ces mouvements de sapience ont eu besoin de siècles pour se respecter et se fertiliser, ce message roboratif est essentiel à rappeler au monde, à un moment de notre histoire qui voit les fondamentalismes religieux et les séparations communautaires, se renforcer de manière inquiétante.

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Pour en savoir plus : 

  • Cyrille J.-D. Javary : « Les Trois sagesses chinoises » – Albin Michel, 2010
  • Henri Maspero : « Le taoïsme et les religions chinoises » - Gallimard NRF, 1971.
  • Laurent CHATEAU : « La Tao-entreprise : performance globale et harmonie » - Deboeck, 2014