La dynamique des 3 territoires alchimiques de la voie du Dao (Partie 2)

Les lignes qui suivent font suite à l’article intitulé « Les 3 marches alchimiques de la voie du Dao », complétant lui-même le « Retour au temps de l’avant-souffrance : mode d’emploi ». On y présentait les 3 grands apprentissages du « Connaitre », de l’ « Aimer » et du « Créer » taoïstes. On y localisait précisément chacun des territoires alchimiques dans le corps humain et soulignait la puissance de l’alchimie du Dao, qui prend appui sur son enveloppe biologique pour avancer dans la voie de l’initiation et la compréhension supérieure des lois du vivant.

S’il a rapidement été fait allusion à une certaine chronologie des marches initiatiques entre elles, le présent article souhaite plus particulièrement insister sur le déploiement dynamique et croisé des territoires alchimiques de la voie du Dao.

On a évoqué à plusieurs reprises que le « Connaître » précède logiquement l’« Aimer » et le « Calmer », que le « Connaître » et l’Aimer » précèdent le « Créer ». Il est en effet facile à comprendre que l’on parvient plus facilement au calme, à la gestion de ses émotions, à la connaissance de soi et à l’ouverture du Cœur une fois que l’on a compris les grandes lois du vivant, maîtrisé l'évacuation des toxines de son corps (physiques ou psychocorporelles) et acquis la possibilité d’accumuler de l’énergie. De la même manière, il apparaît tout aussi logique d’avoir travaillé la focalisation mentale, la purification et la circulation de l’énergie dans le corps, approfondi la connaissance de soi, apaisé ses émotions et ouvert le Cœur avant d’envisager la création consciente de son environnement ou de sa destinée.

Parallèlement, on comprend intuitivement que si l’on souhaite créer trop hâtivement et avec un niveau de conscience qui est celui du désordre et de la dysharmonie (agitation mentale, pulsions instinctives mal réprimées, colère, tristesse ou anxiété chronique, etc.), nos créations ne pourront être durables et harmonieuses. Pire, on pourra contribuer à faire apparaître dans nos vies la manifestation de notre désordre intérieur sous la forme d’épreuves, d'expériences douloureuses ou de mauvaises rencontres.

Ceci étant dit et si l’on comprend le processus chronologique des 3 territoires, le tube linéaire en apparence est en fait une spirale, l’une des formes pures de l’univers, dans le sens où le fait de créer et d’expérimenter en conscience permet d’apprendre et de découvrir de nouveaux champs de recherche ou d’apprentissage, non pressentis de prime abord. C’est ainsi que le cycle 1 : Connaître 1 => Aimer 1 => Créer 1 débouche sur un cycle 2 : Connaître 2 => Aimer 2 => Créer 2 puis… sur un cycle n : Connaître n => Aimer n => Créer n sans cesse plus riche, plus complet, plus large, plus englobant, plus énergétique, plus circulant, plus « informé » et plus aimant.

Notre tube créatif tourne sur lui-même, prend de l’ampleur et s’élève au fil du temps, au gré des épreuves et des expériences vécues, des prises de conscience perçues et intégrées. Vue de profil (et non plus du dessus), l’illustration la plus claire de cette idée d’ascension spiralée et dynamique de la conscience serait sans doute celle-ci :

Si l'on devait zoomer encore davantage sur le vortex, on pourrait observer que la spirale se décompose en réalité en 3 sous-spirales, l'une pour le "Connaître", l'autre pour l'Aimer" et la troisième pour le "Créer". Chacune des spirales évolue en effet selon une amplitude et une dynamique propres, à des rythmes qui leur appartient et qui peuvent différer d'un agir à l'autre. Je fais des progrès dans la compréhension des lois du monde (l'importance de la beauté par exemple =>"Connaître") mais je peux simultanément stagner sur le plan de l'"Aimer". Je peux ouvrir plus facilement mon Cœur (=> "Aimer") mais ne faire aucun progrès en matière de stabilisation de mes pensées => "Créer").

Ces 3 spirales balisent le chemin alchimique qui cherche à nous faire retourner à l'Origine, à passer du "petit un" de notre ego à l'Unité Suprême (TaïYi) décrite par tous les textes classiques en passant par de multiples expériences et par tous les autres (les 10 000 êtres).

En prenant davantage de champ encore, on comprend que cette spirale d’apprentissage et d’évolution ne cesse d'évoluer au gré des prises de conscience de notre incarnation présente comme dans le continuum d’apprentissage et d’évolution de nos vies passées et futures. A la toute fin, lorsque la petite conscience a rejoint la "Grande Conscience", l'intérêt de l'incarnation ne se pose plus, à moins de souhaiter dans la logique du Bodhisattva, aider ses semblables à comprendre et incarner les 3 finalités de la vie.

Dans le phylum d'apprentissage ainsi décrit, on comprend mieux la volonté fébrile de la plupart des taoïstes de vivre le plus longtemps possible pour avancer au plus loin de chacun des axes d'évolution cités.

Sur un plan plus anatomique, les trois plans évolutifs de la conscience que l’on a décrits (Connaître, Aimer, Créer) peuvent s'entendre comme une respiration sans cesse plus large et englobante, alternant des phases de concentration et des phases d’expansion, des séquences de pleins et de vides, de non-vides et de non-pleins.

L’illustration inspirée est la suivante :

Alternance de Yin et de Yang, d’expansion et de contraction, la conscience humaine évolue à l’image d’une respiration pulmonaire, toujours plus ample au gré des prises de conscience successives. Cette respiration passe par des moments suspendus, représentés par les points qui peuvent représenter ces prises de conscience, fulgurantes ou continues et régulières. Ni inspiration, ni expiration, cette apesanteur qui n’est plus Yin et pas encore Yang (ou l'inverse) est une voie de passage privilégiée pour accéder à la "Conscience de l'étape d'après".

Au fil du temps, la respiration de la conscience se fait de plus en plus ample et passe par au moins quatre étapes successives, aux cercles de diamètres de plus en plus larges :

1. L’étape première est celle de la conscience de respirer, de la conscience d’être et d’évoluer. Je suis un être qui peut évoluer et apprendre, je dispose d'un potentiel pour l'instant sous exploité.
2. Puis vient la prise de conscience et de la Connaissance de soi, de ses poumons qui se contractent et se dilatent. On apprend l’art de la respiration (éliminer les toxines, accumuler l'énergie dans mon organisme), l’art de vivre (discernement alimentaire, relations, lieux de vie, nourritures psychiques...), les lois de la nature puisqu’il nous faut respirer pour vivre. C’est le premier poumon spirituel. Au terme de sa dilatation qui permet d’identifier sa mission de vie, les grands traits de sa personnalité avec ses atouts et ses axes de travail, sa propre nature. C’est également l’étape qui nous donne envie de mieux gérer nos émotions et nous apprend le calme.
3. L’expansion de soi se contracte puis on apprend à vivre dans l’expansion de l’autre, on prend conscience qu’on respire le même air que ses semblables et que l’ensemble du monde vivant, que l’air est la substance invisible qui nous réunit. On ressent que tout est relié. La mission se met alors au service de l’autre et du monde vivant. La Joie devient plurielle. Alors on travaille l’amour qui n'oublie pas l'amour de soi. C’est le 2è poumon spirituel.
4. Contraction enfin en prenant conscience que l’autre n’est qu’une infime partie du monde vivant (la biosphère, la biodiversité), que le monde visible n’est qu’une infime partie du monde tout court, qu’un monde existe derrière le monde tangible des formes. Alors l’expansion de la conscience vers la Totalité s’amorce. L’air n’est qu’une composante parmi bien d’autres (l’éther, le vide…) et il est temps de Créer en conscience sur le nouveau plan qui est le nôtre et de rejoindre le 3è poumon spirituel qui n’est encore lui-même, qu’une étape.

Dans cette approche respiratoire de la conscience, il est troublant d'observer que certains astrophysiciens commencent à proposer des modèles cosmologiques de l’univers qui reposent sur cette respiration infinie. On pense notamment au « modèle gravitationnel quantique à boucles » qui fait alterner indéfiniment des « big bangs » et des « big bounces » (rebonds). L’univers pourrait être ce souffle vertigineux sans début ni fin, une respiration cosmique infinie.

Respiration ou spirale, on retrouve cette gradation d’évolution (connaître puis aimer puis créer) dans la nature dans la mesure où l’arbuste qui croît cherche préalablement à se connaître, à identifier son substrat et son environnement, ses voisins de racines, de tronc et de feuilles. Il commence par comprendre et apprécier qui il est, il pense à se fortifier. Une fois qu’il aura découvert qu’il est un pommier, qu’il aura confiance en ses capacités, fortifié ses branches et qu’il s’acceptera en tant que pommier, il pourra produire ses fruits et les apporter au monde.

Un arbre qui ne se connaît pas ne saura pas quels fruits produire. Un arbre qui ne s’aime pas, sera chétif ou absorbé par les autres. Un arbre qui produit trop tôt ses fruits et ne sait pas créer, cassera ses branches.

Au fil de la spirale des saisons, la vie de l’arbre lui apportera une connaissance qui viendra renforcer celle des futurs pépins et des pommiers à venir (adaptation à une sécheresse de plus en plus fréquente, à l’agression de certaines espèces animales…). Cette connaissance nouvelle viendra réguler ce qui doit l’être. Certains arbres dégagent par exemple une toxine dans les lichens de l’écorce lorsque la population des chevreuils devient trop importante. Cette régulation du cheptel permet la circulation optimale de l’énergie et la continuation de la vie. Le pommier est un créateur d’équilibre. Sans que l'œil humain ne le saisisse, l'arbre maîtrise les 3 agir du "Connaître", de l'Aimer" et du "Créer".

Plus près de nous et de manière symétrique, cette loi fondamentale de l’évolution peut s’appliquer très directement à l’enseignement du Qi Gong.

Pour l’enseignement des formes, il est ainsi recommandé :

1. De travailler dans un premier temps l'exercice sans intention énergétique pour éviter d’y penser et se débarrasser du mental (apprendre la structure, le squelette).
2. Une fois qu’on n’hésite plus à pratiquer la forme, on la pratique par le corps et les 5 sens, on commence à l’incorporer et à l’aimer, le corps se détend, le calme et la confiance s’installent.
3. Une fois qu’on connaît la forme et qu’on l’aime toujours davantage au gré de la pratique, on peut l’ « habiter », la guider et la faire évoluer (combinaison avec d’autres formes, allongement ou raccourcissement, adaptation en position debout ou assise, ajout de sons ou de sceaux…) de même qu’elle vient nous apprendre  toujours davantage (Qi Gong spontané, sensations nouvelles…). On créé la forme autant qu’elle vient nous créer et nous enseigner.
4. Comme le traduit l’illustration qui suit, à un stade avancé et à son tour, les enseignements de la forme renforcent encore davantage notre connaissance (Etape 1) et vient ré-initier le cercle, la spirale infinie de la connaissance et de la vie. On pensait avoir fait le tour de la forme et voilà qu’un ressenti nouveau nous la fait redécouvrir intégralement.

Il apparaît alors spontanément les principes de nature suivants :

• Vouloir créer avant de connaître est vain.
• Vouloir aimer avant de connaître est illusion.
• Vouloir créer avant d’aimer est pathogène.
• Vouloir tout saisir en même temps, c’est ne rien attraper.

Après le rapport dynamique des « 3 agir », il est intéressant d’observer qu’il est également possible de les croiser, de les combiner et de les fertiliser mutuellement, afin de trouver des étapes intermédiaires possibles. Ces combinaisons constituent de nouveaux sens possibles à donner à sa vie : 1) aimer connaître, 2) connaître l’amour, 3) aimer créer, 4) créer l’amour, 5) connaître la Création, 6) créer la Connaissance.

A bien y réfléchir, ces 6 axes de vie regroupent l’ensemble des aspirations ontologiques fondamentales de l’Humanité, les quêtes existentielles qui nous rassemblent et qui constituent la part la plus haute de nous-mêmes. On pourrait décrire en détail chacune de ces voies mais il nous semble plus utile de les poser là et de laisser votre inspiration faire le reste.

En rassemblant tout ce qu’on s’est dit, on comprend que l’homme ou la femme de spiritualité est supposé devenir un Créateur conscient appelé à rejoindre la Conscience créatrice, sur ce plan de réalité comme sur les plans de la verticalité. Sur le plan horizontal, la Terre est notre terrain de jeu, notre zone d’apprentissage, notre bac à sable, notre tatami. On est ici pour connaître, pour aimer et pour créer. Plus pratiquement encore, on est venu tester, tenter, expérimenter, échouer, se relever et recommencer et apprendre jusqu’à ce que le geste et l’intention deviennent spontanés et justes dans l’instant. Lorsque la Connaissance est installée et l’intention de l’amour durablement mobilisée, les pensées de l’Esprit durablement maîtrisées, alors l’acte créatif peut s’élever sur des plans plus subtils et le retour dans la matière n'est plus nécessaire. Une fois instruits de la Connaissance des grandes lois de l’Univers et de la vibration de l’amour, le corps lui-même n'a plus d'"objet" pour Créer, l’intention et la pensée orientée suffisent. Ultimement, tout cela n’a plus aucune importance.

En attendant, l’acte créatif de la pensée, de la parole ou du geste s’essaie dans la vibration basse de la matière avant de s’élever. On essaye petit sur le plan terrestre et on élargit ensuite. On travaille dans la proximité des atomes avant d’élargir le champ de l’énergie et de l’information au liquide puis au gazeux puis au plasma puis au-delà.

En réalité, l’Homme de la Terre n’est qu’une maquette, un modèle réduit créateur, un démiurge local, un bonzaï terrestre, confiné dans son petit pot de terre mais capable de devenir un séquoia céleste. Comprendre les clés de la Création est le meilleur moyen d’accélérer notre croissance évolutive. Le travail de la vacuité permet de considérablement avancer sur ce chemin de la Création et les écoles Ch’an, les ancêtres du Zen japonais, en sont les représentants les plus aboutis.

L’illustration suivante tente de rassembler en synthèse les trois plans d’évolution dont on vient de parler :

Comme le suggère l'illustration qui suit, les trois chemins évolutifs ont vocation à rencontrer les trois champs d’évolution que sont : 1) Soi-même, 2) les autres et 3) le monde, avant d'envisager les plans subtils en ultime intention.

Les 3 chemins d'évolution du Connaître, de l'Aimer et du Créer ont également vocation à respecter trois principes simples : 1) un principe chronologique, 2) un principe d'interdépendance et 3) un principe d'inclusion.

1. Principe chronologique :

S'il est important de connaître avant d'aimer et d'aimer avant de créer et si dans le même temps, il est également important de travailler sur soi avant de chercher à travailler sur les autres et sur le monde comme l'atteste la matrice d’évolution croisée suivante :

Les enseignements possibles qui en découlent sont les suivants :

• Connaissez-vous avant de chercher à connaitre les autres, connaissez les hommes avant de connaître le monde. Connaissez le proche avant de connaître le lointain, savourez le présent avant le futur ou le passé.
• Aimez-vous d’abord, avant d’aimer les autres et d’aimer le monde. Aimez le proche avant le lointain (le SDF de votre rue par exemple avant l’enfant famélique du Sahel).
• Créez d’abord pour vous-mêmes avant de créer pour les autres puis pour le monde. Cherchez à vous créer vous-mêmes avant de chercher à créer les autres ou le monde.
• Cherchez à connaître (soi, comment connaître, comment aimer, comment créer…) avant de chercher à aimer. Cherchez à aimer avant de chercher à créer.
• Connaissez, acceptez, aimez et faites évoluer votre corps (alimentation, sexualité, activité physique…) puis vos émotions (installer le calme, pacifier les émotions conflictuelles) puis le psychique (sommeil, volonté, intuition, ouverture d’esprit…).

Dans les faits, agir sur une dimension impacte naturellement les deux autres (mieux maîtriser ses émotions peut aider à installer la santé du corps, aimer l’autre peut aider à renforcer l’amour de soi etc.) puisque les plans de la Terre, de l'Homme et du Ciel sont reliés. S'affranchir de la chronologie des apprentissages rend cependant le chemin plus risqué ou plus escarpé.

2. Principe d’interdépendance :

Aucun champ de création ne doit être excessif par rapport aux deux autres. Une préoccupation trop forte sur soi peut conduire au narcissisme et à l’égoïsme. Une préoccupation trop importante des autres peut amener au burn-out et à l’épuisement. Une préoccupation trop élevée sur le champ de création du monde au détriment de soi ou des autres peut nous déconnecter du réel, nous désancrer (on reste sur les concepts ou sur un plan contemplatif) et créer des incompatibilités sociales (rester « perché »).

3. Principe d’inclusion :

Le champ des autres contient le champ de soi, le champ du monde contient le champ des autres. Travailler sur le champ du monde permet de travailler sur le champ des autres et de soi. Travailler sur le champ des autres permet de travailler simultanément sur le champ de soi.

Dans une logique d’évolution apaisée, il est recommandé de respecter simultanément chacun de ces trois principes, dans l'ordre indiqué.

On le comprend, le sens de la vie et le retour à l’origine consistent finalement à combiner les trois chemins évolutifs (connaître, aimer, créer) dans un premier temps pour soi-même puis pour les autres puis enfin pour le monde. Certains déclarent que le seul retour à l’origine pour soi-même porte la finalité (à l'image du petit véhicule bouddhiste). En validant les principes taoïstes d’interdépendance du vivant et de fractalité des plans, la logique voudrait toutefois qu’on ne limite pas la recherche d’harmonie à sa seule petite personne puisque tout est relié à tout, l'interdépendance étant le 3è Principe du Vivant. Sa contribution personnelle à l'harmonie d’ensemble finira par nous rejoindre sous la forme d'un souffle plus grand encore.

Une fois posé le décor, on peut naturellement croiser les trois mondes taoïstes du macrocosme (Terre, Homme, Ciel) avec les trois plans de travail du microcosme de l’homme (Connaître, Aimer, Créer) et les 3 champs d'évolution (soi, les autres, le monde) de la manière suivante :

Ce croisement des variables fait spontanément apparaître 9 champs d’évolution et de grandissement possibles qui sont autant de chemins de conscience qui permettront de distinguer notre destinée de celle de l'abeille, du chevreuil ou du bousier.

Articles connexes :

• Retour au temps de l’avant-souffrance : mode d’emploi (https://www.leadershiptaoiste.com/blog/retour-au-temps-de-l-avant-souffrance-mode-d-emploi)
• Les 3 marches alchimiques du Dao (partie 1)