Revenir au site

L’iconographie chrétienne a trouvé 2 "trésors alchimiques" sur 3

Cet article cherche à réinterpréter l’iconographie chrétienne (peinture, sculpture, gravure...), à la lumière de la tradition taoïste, lointaine dans le temps et dans l’espace. Elle éclaire d’un jour nouveau la manière d’observer et d’interpréter les œuvres picturales de la tradition évangélique. Cette focale très personnelle révèle des convergences insoupçonnées entre l’orient et l’occident mais également des divergences de fond. Voyez plutôt.

· Concepts taoïstes,Développement perso,Société

On en convient, le titre quelque peu provocateur de cet article est hermétique à souhait. Il visait simplement à vous inviter à lire la suite et si vous lisez ces lignes, c’est que l'objectif a été atteint, merveille des biais cognitifs qui nous poussent à vouloir résoudre l’énigme, à percer les mystères, à savoir ce que les autres ignorent et à être initié.

Le propos cherche ici à réinterpréter l’iconographie chrétienne (essentiellement la peinture), à la lumière de la tradition lointaine, dans le temps et dans l’espace, du taoïsme (ou plus précisément, de notre interprétation toute personnelle du taoïsme). La sagesse du Tao peut éclairer en effet d’un jour nouveau, la manière d’observer et d’interpréter les œuvres picturales chrétiennes. Cette nouvelle focale révèle des convergences insoupçonnées entre l’Orient et l’Occident mais également des divergences de fond dont il est intéressant d’avoir conscience.

La tradition alchimique taoïste recense trois centres énergétiques situés dans le corps qui sont appelés les « 3 Trésors » (San Bao). Ces 3 centres alchimiques sont les athanors successifs de ceux qui souhaitent se rapprocher de l’immortalité céleste. De manière très schématique, l'apprenti alchimiste cherche dans un premier temps à accumuler de l’énergie dans son abdomen (le premier Trésor, Xia DanTian), puis à raffiner cette énergie dans le centre de la poitrine (2è Trésor, Zhong DanTian) ou légèrement en-dessous selon les traditions (Cour jaune, Huang Ting), pour enfin travailler au niveau du cerveau (3è Trésor, Shang DanTian), dans la connexion subtile avec les énergies du Ciel. Ces trois étapes alchimiques sont connues en Occident sous les noms de l’œuvre au noir, de l’œuvre au blanc puis de l’œuvre au rouge. Dans le taoïsme, on aurait conservé la couleur noire pour la première étape (Les Reins, la racine de la vie, l'"alchimisation" de la matière) mais on aurait volontiers inversé le blanc et le rouge, parce que le rouge correspond davantage au Cœur dans la tradition du Tao et le Blanc (le Grand Yang) à la perfection éternelle et sans forme du Ciel (ce qui explique qu'elle soit la couleur du deuil dans de nombreux pays d'Orient).

broken image

Les étapes alchimiques taoïstes

Au-delà de ce jeu des couleurs, le grand philo-théologien Teilhard de Chardin aimait à dire qu’ « en montant, tous les chemins convergent ». Il en est de même pour les grandes traditions du monde et l’iconographie chrétienne en offre une belle illustration visuelle.

L'iconographie chrétienne aime représenter le 3è Trésor

Sans que l'Occident n'en ait aujourd'hui véritablement conscience, la représentation picturale et artistique des scènes christiques (ou mariales) met clairement en évidence le centre énergétique alchimique taoïste supérieur. Dans la plupart des représentations, la tête du Christ est cernée d’un halo doré et puissant. Cette auréole correspond au rayonnement ressenti par le pratiquant taoïste lors de ses méditations avancées. Les portes du sommet du crâne (BaïHui) et le 3è œil (Yin Tang ou TianMu) sont ouverts, en lien subtil avec la "Grande Conscience" et la Création consciente. Dans le ressenti, toute la calotte crânienne (que l’on appelle la « porte du ciel », TianMen) entre en vibration. Il ne faut pas aller chercher plus loin la raison pour laquelle les moines de la plupart des traditions se rasent le crâne. On n'en fait jamais trop pour faciliter les connexions célestes.

Convergence de tête, ce 3è Trésor est celui qui est le plus souvent représenté par les Maîtres du pinceau et il est celui qui fait le plus consensus entre les voies orientales ou occidentales. Avec les mots de l’Évangile, on dirait qu'il est la représentation du Père et de la Conscience créatrice (Le Père a créé le monde). Il porte la "voie du Père".

broken image

Salvator Mundi (Icône du XVIIIe siècle)

Le Trésor du Cœur trouve également sa place

Curieusement moins représenté dans l’histoire de l’art chrétien, le 2è Centre énergétique se trouve au centre de la poitrine, dans la zone du Cœur (Shan Zong). Ce 2è chaudron alchimique est celui de la connaissance de soi, de la pacification de ses émotions et du calme. Il est la voie de l’amour inconditionnel et celle du Christ aimant, c’est la "voie du Fils" de la sainte Trinité. Les artistes ne s’y sont pas trompés et on trouve ce soleil central (le "sacré coeur") dans de nombreux tableaux de maîtres inspirés.

broken image

Peinture du Sacré Coeur - XIXe siècle (Anna Maria von Oer)

La représentation du 2è centre énergétique s'est surtout répandue à l'époque romantique du XIXè siècle. Auparavant, il était généralement suggéré par un mouvement de doigts dans bon nombre d’œuvres iconiques orthodoxes par exemple.

broken image

Ancienne mosaïque de la Basilique Sainte Sophie à Istanbul (Xè siècle)

Il est intéressant de noter que le mudra formé par les doigts relie très souvent l'énergie de la Terre (le pouce) avec

l'énergie du Métal portée par l'annulaire. Le hasard n'ayant pas sa place dans ce genre d’œuvre, on pourrait imaginer que l'intention de l'artiste visait à illustrer l'alliance de Dieu avec son peuple. Dans la tradition taoïste, on pourrait y voir la reliance de la Terre (le pouce) avec le souffle (les Poumons) et la nécessaire purification/cristallisation du Métal, représenté par l'annulaire. Le Métal du 4è doigt porte l'idéal du service au monde et à l'autre mais également l'énergie du repli et du retour, à la Source et à l'Origine.

Outre le mouvement ou la position des doigts, la voie christique du Coeur et de l'amour sans limite est également représentée par la Vierge et plus précisément par l'enfant qu'elle porte, le Fils de la Sainte Trinité. Picturalement parlant, la tête de l'enfant est souvent représentée au niveau du Cœur de la Vierge. L'Esprit et la Conscience sont "hébergés" par le Cœur. La Tradition taoïste dit très exactement la même chose en précisant que le Cœur est la "demeure de l'Esprit" et que la pratique alchimique lui permet d'y résider. En d'autres termes, le calme et la justesse d'action proviennent de sa clarté intérieure. Lorsqu'on est perdu (dans le lieu où l’on se trouve ou bien dans sa vie), le Cœur s’affole, s’agite, s’épuise ou se perd. On dit alors en Chine que le Cœur "a quitté sa demeure".

broken image

Icône orthodoxe russe

Les paumes portent l'énergie des 2 premiers Trésors

En restant attentif à l'iconographie christique du corps, on observe également que la tradition picturale chrétienne représente parfois le Christ avec des mains rayonnantes qui n'ont, là encore, rien de fortuit. Au centre des paumes se trouve en effet ce que les alchimistes taoïstes appellent les « Palais du labeur » (Lao Gong). On pourrait les considérer comme des « soleils latéraux », le bras armé de la manifestation du Cœur (2è centre énergétique) mais également de la conscience (1er centre énergétique) puisqu'on a vu que le Cœur héberge l’Esprit.

Les stigmates du Christ au centre de ses paumes portent cette symbolique des "Lao Gong". Il est probable que les artistes savaient parfaitement que le corps n'aurait jamais tenu en clouant le Christ sur la croix par le centre des paumes et qu'il convenait de placer les fers au-dessus des tendons des poignets. Il nous semble que c'est la raison pour laquelle il ne faut pas prendre cette "mémoire des clous" comme purement historique, mais retenir au contraire sa portée symbolique et énergétique.

broken image

La Résurrection, détail du retable d’Issenheim, Matthias Grünewald, vers 1515

La tradition chrétienne a oublié le Trésor du corps

Ceci étant dit et vous nous voyez venir, il est troublant de constater que la peinture chrétienne ne représente jamais l'abdomen du Christ en état de radiance, ne salue jamais ce que de nombreux taoïstes (mâtinés de bouddhisme 😉) appellent le « premier étage de la pagode ». La religion semble déconsidérer sinon mettre clairement et visuellement le corps à distance. C’est la grande différence avec les sagesses de l’Orient qui n’hésitent pas à représenter les corps enlacés et lascifs sur les frontons de leurs temples. La sexualité peut être sacrée, le tantrisme ou le Qi Gong sexuel alchimique en attestent.

Depuis le haut Moyen-âge et les premiers conciles, la chrétienté a un problème avec le corps, synonyme de pêché, de corruption terrestre et morale, d'impureté et de tentation, d’éphémère vanité, de vacuité (« poussière, tu redeviendras poussière ») et de souffrance (le supplice du Golgotha). Les scapulaires, les flagellants et le goût iconographique pour les suppliciés (martyrs des saints) sont les avatars les plus prééminents de cette spiritualité doloriste et culpabilisante. Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre des Jésuites a pu par exemple l'exprimer en ces termes dans ses "Exercices spirituels" de 1548 : "J'examinerai la corruption de tout mon être, état dépravé de l'âme et la laideur du corps" (58). L'Immaculée Conception sous cet angle, traduit d'une autre manière cette distanciation de la matière. Le pratiquant chrétien mange tous les dimanches le corps du Christ et boit son sang. Ce faisant, il le fait disparaître.

Même si la position et le discours de l’Église évoluent progressivement, le corps a longtemps été le "mal nécessaire" et temporaire d'un jeu d'incarnation dont l'intention se passe ailleurs (la quête du paradis et le souhait de la résurrection). Là où la chrétienté néglige le corps et se projette dans l'avenir spéculatif d'un monde meilleur, le pratiquant taoïste au contraire, préfère appréhender le réel tel qu'il est. Il prend soin de son corps pour le transformer et le rapprocher du Ciel depuis la matière et dans le présent. Ce sont là des différences ontologiques fondamentales.

broken image

Rubens - La flagellation du Christ (1617)

Pour les taoïstes, l’absence de représentation du premier DanTian (centre énergétique) en dessous du nombril est une béance, un manque, une carence majeure sur le plan alchimique. Pire, ils y voient une incohérence et une méconnaissance des lois du vivant dans la mesure où il ne peut exister de transformation sans chaleur, de chaleur sans feu, de feu sans énergie, d’énergie sans corps. C’est un principe physique. Pour quelques initiés, ce feu peut provenir de la Foi et du Ciel, d'une connexion sublime de quelques élus mystiques qui ont vu la lumière. Pour ces quelques élus, le Feu et la joie sont présents à tout moment, la chaleur divine les embrase de l'intérieur sans effort, l'énergie EST. On pourrait l’appeler la Voie Ciel/Terre (Yang/Yin).

Pour autant et pour accumuler de la chaleur, le plus grand nombre de nos contemporains doivent se contenter de la Voie Terre/Ciel (Yin/Yang) qui part du corps pour s’élever vers le Ciel selon le processus long et exigeant évoqué au début de cet article. Pour les êtres en chemin, le corps est le moyen d’accéder au sacré de son vivant, sans attendre sa mort physique. Il est à la fois un raffineur d’énergie et un catalyseur d’expérience mais également un révélateur, celui qui apporte la preuve de la transcendance, de celles qui ne pourront jamais se mettre en mots.

En oubliant le corps, la religion chrétienne s’entrave et ne permet pas à la multitude de s’élever. Pas d'arbre sans racines, pas de Ciel sans la Terre, pas d’élévation sans montée en fréquence de la vibration de ses cellules et qui explique au passage que l'orgasme sexuel est appelé la "petite mort". Cette Voie du corps est la voie de l’énergie. C’est également la voie du "Saint Esprit" trinitaire. Le "Saint Esprit" du Nouveau Testament est la voie du corps mais aucun credo n’y fait allusion. Cette voie de la matière est la grande oubliée des textes sacrés et cet article cherche à son niveau, à combler l'oubli ou l'évitement.

Cette voie du corps aide par exemple à comprendre que les larmes du Christ ne sont pas des larmes de tristesse ou d'apitoiement ; elles sont au contraire des larmes de joie emportées par la lumière et l’amour du monde, une joie universelle qui déborde du vase corporel, en résonance avec la beauté et l’harmonie de la Création. Le message chrétien est un message de joie et d’amour mais l’iconographie chrétienne n’a curieusement retenu que l’ombre, la tristesse, le repli et le rétrécissement, en oubliant trop vite que dans la pleine lumière, l'ombre n'existe plus.

broken image
broken image

Antonello de Messine - Ecce Homo (XVè siècle)

Les larmes du Christ ne sont pas un apitoiement sur lui-même ou même sur la souffrance de notre pauvre humanité. Elles portent l’espérance de voir le peuple des Hommes suivre ses pas et s’engager dans la voie de sa transformation intérieure. Semblables à la joie simple et infinie d'un enfant, elles brillent comme un puissant soleil et s’émeuvent de la beauté et de l’harmonie du monde, s'inclinent devant la perfection bouleversante de la Création du Père. A rebours d'Ignace de Loyola qui appelait à "éviter les pensées qui provoquent la joie" (Exercices spirituels, 78), la lecture taoïste de l'art chrétien demande à inverser le sens des larmes de l’Evangile et à les faire rayonner de mille feux. La plupart des toiles des artistes n’ont pas compris ou représenté le message. Susciter la compassion par l’outrance des larmes et l'apitoiement peut mener le peuple des croyants au désespoir, à l'abandon et à la tristesse chronique, ressentie dans de trop nombreuses églises. Représenter la JOIE du Christ suscite au contraire l’enthousiasme et l’envie d’agir pour un monde meilleur, plus solaire, plus joyeux. Les artistes se sont laissé abuser par l’obscurité du clergé des temps anciens, saisi lui-même par le doute, par la peur de la mort et par sa finitude. La religion chrétienne attend encore le Christ qui rit ou qui sourit.

A refaire l'histoire, il nous semble que l’ordre de construction des œuvres devrait être celui-ci : le soleil, puis le Cœur, puis la silhouette puis ultimement les larmes pour célébrer l’ensemble. Le soleil devrait être immense et occuper l’essentiel de la toile. L’humain à l’intérieur devrait être minuscule (comme dans la plupart des oeuvres taoïstes, où les silhouettes humaines se perdent dans la nature omniprésente). Les larmes plus petites encore. A l’inverse, la plupart des toiles sont bâties autour des larmes du Christ éploré, au point d'en oublier le soleil du Cœur. Les toiles sont inversées dans leur structure et les retourner dans leur cadre, ne suffira pas à en ramener la lumière.

Relire l'Evangile à la lumière des enseignements taoïstes

Au terme de cette succincte exégèse, il nous semble que l’Evangile est à revisiter avec les clés de lecture du Tao. Cet article est une invitation à relire les versets du Nouveau Testament en remplaçant le mot "Père" ou "Seigneur" par le terme de « Conscience », le mot « Christ » par "amour inconditionnel" ou "Coeur" et le "Saint Esprit" par le "corps", en laissant venir ce qui vient et en observant ce qui se passe dans son enveloppe corporelle. Inutilement séparée par un oubli malheureux et désormais complète, la voie christique se rapprocherait alors de la voie du Tao.

Cette nouvelle alliance du Corps et de l'Esprit, de la Terre et du Ciel, de l'Orient et de l'Occident serait un formidable pont jeté entre les sagesses du monde, une convergence bienvenue dans le chaos des Hommes et un cadeau inespéré pour l'immortel céleste, Teilhard de Chardin.