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18 pratiques managériales taoïstes, révolutionnaires et inapplicables en entreprise

Après Lao Tseu, Tchouang Tseu (ZhuangZi) est le 2è grand fondateur de la sagesse taoïste qui a émergé il y a plus de 2 500 ans. Sans cesse réinterprétés, les textes peuvent s’appliquer dans tous les compartiments de la cité, à commencer par les entreprises. Si l’on devait suivre à la lettre l’esprit du Tao, d’étonnantes applications managériales ou de gouvernance pourraient être trouvées. Cet article se propose de présenter 18 d'entre elles, révolutionnaires mais cependant inapplicables pour la plupart, dans notre monde moderne, matérialiste et pressé. Elles suggèrent en outre que notre rationalité supposément universelle, reste finalement très localisée et anthropique.

· Entreprise

Chaque recommandation reprend l’intitulé et la description du conseil. Les citations de Tchouang Tseu sont en italique. Bonne lecture.

1. Aimez vos concurrents autant que vos propres collaborateurs.

La séparation n’est qu’apparence. Tout se tient dans le vivant et chacun a sa place. Mieux encore et à l’image de la goutte de pluie qui tombe du nuage sans favoritisme, l’amour de la vie l’emporte sur l’amour des siens. Les concurrents ne dérogent pas à cette règle universelle.

  • « Considérer comme identiques les différences, voilà la grandeur ».
  • « Le saint vit parmi les êtres du monde sans en blesser aucun. Seul celui qu’aucun être ne blesse peut entrer dans le commerce des hommes ».
  • « Soyez comme l’espace infini, que rien ne divise ni de délimite et qui embrasse tous les êtres sans qu’aucun deux en reçoive une protection spéciale.
  • « La justice parfaite n’établit pas une distinction entre les êtres ».
  • « Tous les êtres ne font qu’un ».
  • « L’amour et la haine sont des égarements de la vertu ».

2. Conditionnez l’ensemble de l’activité de l’entreprise à votre raison d’être.

Facteur de motivation et de sens, la raison d’être d’une organisation (ou d’un individu) est ce qui permet d’obtenir dans la durée le meilleur d’elle-même (ou de lui-même). Connaître et organiser la vie de l’entreprise autour de la raison d’être est le meilleur moyen de créer de la performance, en même temps que de l’harmonie.

  • « Tous ceux qui ne s’unissent que par intérêt se repoussent quand l’oppression, la détresse, la malchance, le malheur ou le désastre les frappent, alors que ceux qui s’apparentent par la nature se resserrent plus étroitement. Ceux qui sont unis sans raison intéressée n’ont pas de raison de se séparer ».

3. Payez le dirigeant au même niveau que l’employé

Le taoïsme indique que l’homme (ou la femme) ne sera jamais aussi en forme, performant et heureux que s’il connaît sa raison d’être et sa vraie nature : un comptable pour manier les chiffres, un communicant pour communiquer, un manager pour mener les hommes etc. De ce fait, une fois que l’on a trouvé sa raison d’être et son « mandat céleste » (Tian Ming), pourquoi rémunérer l’un davantage que l’autre ? Un arbre maître reçoit-il davantage de rayons du soleil que le plus modeste des brins d’herbe ?

  • « Tous les êtres ont leur raison d’être. Chaque être à ses aptitudes et ses inaptitudes. Il a son orientation propre. Il est bon à certaines choses et n’est pas bon à certaines autres ».
  • « C’est l’appât du profit qui fait oublier sa vraie nature. Qui contemple les eaux bourbeuses manque les eaux claires ».

4. Ayez autant d’estime pour le chef que pour le subordonné

Accordez une bienveillance naturelle à chacun. Toute rencontre peut en outre amener une information utile à intégrer dans l’activité économique. On raconte que l’idée du clapet du smartphone Ericsson provient d’une femme de ménage de l’entreprise. Développez votre écoute active, même auprès des plus humbles.

  • « Un grand homme dans sa conduite ne fait pas de tort aux hommes. Il ne s’enorgueillit pas de son amour ni de ses bienfaits. Il n’agit pas par intérêt et ne méprise ni le portier ni le laquet ».

5. Ne célébrez plus vos victoires

La vie n’est qu’une alternance, de victoires et de défaites, de Yin et de Yang. Chaque événement porte en lui les germes de son complémentaire. Le savoir permet d’atténuer l’épreuve ou de limiter l’excitation de la victoire. Une vente réussie peut assoupir le vendeur, susciter la jalousie des autres vendeurs ou renforcer la tension concurrentielle.

  • « Y a-t-il vraiment une distinction entre le succès et l’échec ? »
  • « Celui qui professe le vrai sans voir le faux, l’ordre sans voir le désordre ne comprend rien à l’ordre de l’univers ni aux réalités des êtres. Son action est nécessairement vouée à l’échec ».
  • « La gloire suprême est sans gloire ».
  • « Qui voit son mérite accompli amène sa chute ».
  • « Le chagrin et le plaisir écartent de la vertu, la joie et la colère écartent du Tao ». 

6. Ne lancez pas vos projets en force

Les projets et les actions sont souvent lancés pour respecter les injonctions d’un planning, d’une orientation stratégique ou servir l’ego d’un chef. Le problème, c’est que ce n’est peut-être pas le bon moment. L’offre n’est pas prête, l’informatique ne suit pas, les équipes ne sont pas encore formées, etc. En définitive, le client sera mécontent ou les résultats ne seront pas au rendez-vous. Acceptez de retarder ce qui doit l’être en observant attentivement votre réalité de marché et vos capacités internes. Le bon moment de lancer l’action doit être naturel et une évidence partagée par tous.

  • « L’homme qui s’efforce d’agir provoque sa mort. C’est dans s’abstenant d’agir que l’homme du commun retrouve ce qui est céleste en lui ».

7. Interrogez vos équipes sur le bon rythme de l’action ou de l’avancement des projets

Le dirigeant cherche à faire entrer le réel dans son monde mental, les rythmes sont généralement impulsés par la direction ou la ligne managériale, indépendamment de l’opinion du terrain. Afin de réconcilier la performance et l’harmonie des équipes, il est important de les consulter sur les délais et les moyens associés à la réussite. Ils connaissent la réalité du métier sans toujours être capable de l’expliquer.

  • « Quand je fais une roue, si je vais doucement, le travail est plaisant, mais ce n’est pas solide. Si je vais vite, le travail est pénible et bâclé. Il me faut aller ni lentement ni vite, en trouvant l’allure juste qui convienne à la main et correspondre au cœur. Il y a là quelque chose qui ne peut s’exprimer par les mots ».

8. Passez en revue tous les postes et ne les confiez qu’aux plus motivés et aux meilleurs dans leur catégorie.

Recommandation frappée au coin du bon sens, la réalité est pourtant très souvent tout autre. Les nominations sont fréquemment le résultat de compromis, de cooptation, d’ancienneté ou d’autres jeux d’influence. Un poisson ne grimpant pas aux arbres, le meilleur moyen d’être performant consiste à mettre le poisson dans l’eau et le singe dans l’arbre. A vous de trouver qui est le poisson et qui est le singe dans votre organisation.

  • « L’excellence ne réside ni dans la bonté ni dans la justice, mais dans les qualités intrinsèques de chacun de nous ».
  • « La voie où chacun est à sa place est la justice ».
  • « Que tu affirmes ou que tu nies, détiens le moteur du cercle qui est en toi. C’est seulement en réalisant ton idéal propre à toi-même que tu approches du Tao ».

9. Acceptez de ne rien dire en réunion

Trois cadres sur quatre s’ennuieraient en réunion alors qu’ils y passeraient 16 ans de leur vie. Le taoïsme pose que ce qui n’est pas dit est aussi important que ce qui y est dit. De fait, acceptez de laisser le silence s’installer. Acceptez de démarrer une réunion par un silence et un retour à soi, acceptez de méditer lors d’une prise de décision importante et de laisser venir les idées.

  • « La discussion est inférieure au silence ».

10. Abandonnez tout rituel d’entreprise 

Anniversaires, médailles du travail, entretiens annuels, pots de départs non souhaités... tout ceci comporte quelque chose de contraint et de non naturel. Les entretiens annuels rendent nerveux les salariés plusieurs jours avant qu’ils n’aient lieu. Certains managers attendent plusieurs mois avant de reprocher un comportement à un salarié. Le rituel éloigne la spontanéité et la vérité de l’instant.

  • « Les rites sont quelque chose de fabriqué par les hommes vulgaires. La vérité, elle, nous la tenons du Ciel. Elle est naturelle et invariable. C’est pourquoi le saint s’inspire du Ciel, fait cas de la vérité et ne se laisse pas emprisonner par la convention vulgaire ».
  • « Ne vous laissez pas entraver par la coutume ».

11. Managez sans avoir conscience de manager et sans chercher à en tirer gloire

La lumière se refuse à celui qui cherche à l’attirer. Plus on cherche à se mettre en avant et plus le prestige recule. Éloignez la fierté mal placée, la gloriole, l’égotisme, la présomption. Acceptez de dire que vous ne savez pas. L’humilité est le meilleur moyen d’être apprécié de tous et de manager par l’exemple.

  • « L’homme qui possède la vertu doit ignorer qu’il la possède ».
  • « Qui se glorifie efface son mérite ».
  • « Diriger les autres, c’est d’abord se rectifier soi-même ».
  • « Le pire des ennemis pour l’homme, c’est avoir conscience de ses qualités. Il ne cesse de regarder en lui-même, ce qui le mène à la ruine. L’intelligence et la sagacité ne portent que sur le monde ».

12. Enseignez essentiellement par l’exemple et oubliez les formations au management

Un professeur de piano pourra enseigner la technique mais pas à devenir un pianiste. Il est des choses qui ne s’enseignent pas. Utilisez les outils du management (savoir) mais pratiquez et laissez-vous enseigner par l’observation de vos mentors concernant le savoir-faire et le savoir-être, sans oublier ce qui ne s’enseigne pas.

  • « Celui qui sait ne parle pas. Celui qui parle ne sait pas. C’est pourquoi le saint pratique un enseignement sans parole.
  • « Qui oublie le bien, par la même sera bon. L’enfant n’a pas besoin d’un grand maître pour apprendre à parler. Il lui suffit d’être avec les gens qui savent parler ».
  • « La nasse sert à prendre le poisson. Quand le poisson est pris, oubliez la nasse. La parole sert à exprimer l’idée. Quand l’idée est saisie, oubliez la parole ».

13. Ne vous flattez pas et ne flattez pas

Ce n’est pas à vous à dire du bien de vos produits mais au marché et au client lui-même. La performance ou la réputation sont des conséquences et non des objectifs ou le fruit d’une communication outrancière. Une bonne pub n’a jamais récupéré un mauvais produit. Le bouche-à-oreille est le plus taoïste des VRP.

  • « Celui qui se pare de discours futiles pour rechercher l’éclat de sa renommée est loin de pouvoir comprendre la grandeur. Qui cherche à plaire au peuple par ses bienfaits est un orgueilleux. Celui qui glorifie le bon souverain ne vaut pas celui qui les oublient tous les deux et s’abstient de louange.
  • « Quiconque n’est pas sincère ne peut agir sur autrui. Seule la vérité intérieure fait agir l’âme à l’extérieur ».

14. Ne vous laissez pas emporter par l’esprit de la machine

L’informatique, l’IA sont de bons serviteurs mais de mauvais maîtres. La machine induit la logique du rendement. Ne vous laissez pas emporter par sa vitesse et par ses rythmes au risque de devenir vous-même une machine et de perdre la part céleste de votre humanité, pour vous-même et dans vos relations aux autres. Obligez-vous à vous déconnecter régulièrement dans une journée et plus longtemps si vous le pouvez.

  • « Qui se sert de machine use de mécanique et son esprit se mécanise. Qui a l’esprit mécanisé ne possède plus la pureté de l’innocence et perd ainsi la paix de l’âme ».

15. Fiez-vous à votre intuition pour prendre les décisions

Développez votre intuition et acceptez de l’utiliser dans le monde professionnel : prise de décision, ressenti sur vos interlocuteurs…

  • « L’homme inspiré n’a pas besoin de consulter l’expérience du saint ». 

16. Retirez-vous après avoir réussi votre mission

Comme Kunio Inamuri, le CEO de Kyocera Corporation (Japon), retirez-vous une fois le devoir ou la mission accomplie. Ne vous accrochez pas au pouvoir, ne cherchez pas à durer. Pensez à la prochaine étape mais celle qui vous a vu réussir est terminée. Tentez de ressentir en vous à quel moment la mission est terminée, à quel moment il faut interrompre le projet ou l’action.

  • « Pouvez-vous vous retirer quand il le faut ? Pouvez-vous vous désintéresser d’autrui pour vous rechercher vous-même ? Pouvez-vous garder votre esprit libre ? Pouvez-vous rester simple ? Pouvez-vous revenir à l’état de première enfance ? Voilà les règles pour prendre soin de la vie ».

17. Ne cherchez pas la célébrité, renoncez au pouvoir

Prenez conscience que les positions de responsabilité éloignent de son propre soi et de sa vérité intérieure. Faute de temps et comprimé par les contraintes, on perd son centre, une certaine « joie de vivre » et son infinitude. Comme disait le poète, le bonheur n’est-il pas « près de son arbre » ?

  • « L’homme qui atteint le Tao est ignoré du monde. L’homme qui possède la vertu parfaite ne réussit pas ».
  • « Qui pourra faire du mal à celui qui aura su se vider de son moi ? »
  • « Le grand homme est sans moi ».
  • « Qui voit son mérite accompli amène sa chute. L’homme de grande perfection efface sa trace et renonce au pouvoir. Il ne travaille ni pour le mérite, ni pour le renom. C’est ainsi qu’il ne blâme personne et que personne ne le blâme. L’homme parfait est inconnu du monde ».

18. Acceptez de devenir spirituel

Acceptez d’introduire de la spiritualité dans votre management, dans votre action socio-économique et plus largement dans votre action RSE. Ajoutez la dimension verticale à la réalité horizontale. Entrez dans le mouvement émergent intitulé « le leadership spirituel ».

  • « Celui qui oublie les hommes est un homme du Ciel. S’il est vénéré il n’en sera pas joyeux. S’il est insulté il n’en sera pas fâché. Seul celui qui participe à l’harmonie du Ciel peut arriver à cet état d’âme ».
  • « Pouvez-vous embrasser l’Unité ? Pouvez-vous vous désintéresser d’autrui pour vous rechercher vous-même ? Pouvez-vous garder votre esprit libre ? Pouvez-vous revenir à l’état de première enfance ? Voilà les règles pour prendre soin de la vie ».
  • « Il est dit : celui qui connaît la joie du Ciel, sa vie et l’action du Ciel, sa mort n’est qu’une métamorphose. Celui qui connaît la joie du Ciel ne subit ni la colère du Ciel, ni la critique des hommes, ni l’entrave des choses, ni le reproche des morts. Son esprit s’absorbant dans l’Un, il soumet tous les êtres. Ayant trouvé le vide et la quiétude, il les étend à l’univers et les communique à tous les êtres. C’est cela qu’on appelle la joie du Ciel ».